Mise en garde : Je vais dire des choses désagréables sur les gouvernements, les startups et les grandes entreprises. Donc il est fort probable que vous soyez offensé par quelque chose dans cet article.
Il existe un vieil adage dans les domaines du design et du service-conseil : bon, rapide ou économique – choisissez-en deux. Il serait naïf de souhaiter exceller dans ces trois sphères pour un projet. Cette règle met en évidence une triste vérité, à savoir que ces trois objectifs sont fondamentalement opposés.
Comme l’illustre ce diagramme, il est illusoire de miser sur les trois, mais il est possible d’en optimiser deux sur trois : il suffit de savoir où l’on met les pieds. Si vous devez obtenir rapidement un produit de bonne qualité, soyez prêt à payer cher. Si vous êtes prêt à attendre, vous pouvez donner à une petite équipe une longue marge de manœuvre et produire quelque chose de superbe. En revanche, si vous insistez pour faire les choses rapidement et à bas prix, vous n’obtiendrez pas un bon produit. C’est ce qu’on appelle souvent le triangle de fer de la gestion de projet : chaque projet est un compromis entre le périmètre (la qualité du produit), le coût (l’accessibilité du produit) et le temps ( le délai du produit).
Or, il y a un autre aspect de ce tiercé qui est rarement abordé. Ces trois facteurs reflètent également trois types d’organisations : les gouvernements, les grandes entreprises et les startups. Chacune d’entre elles s’efforce d’obtenir ce qu’elle valorise le plus : la prévisibilité, le profit ou la vitesse.
Comme le démontre ce triangle, chaque type d’organisation a un objectif sous-jacent qu’elle tente d’atteindre. Il s’agit d’une simplification grossière (les institutions peuvent se situer n’importe où sur ce triangle et les trois sommets sont des extrêmes), mais si la carte n’est pas le territoire, c’est un bon moyen de comprendre où nous nous situons et comment nous rendre là où nous voulons aller.
Les startups recherchent la rapidité, pas la qualité ou les économies
Steve Blank, l’un des fondateurs de la pensée moderne des startups, définit une startup comme une organisation formée pour rechercher un modèle économique durable et reproductible dans des conditions d’extrême incertitude. Le mot clé ici est recherche : une startup est prête à dépenser des millions de dollars uniquement pour concevoir quelque chose qui lui permette de savoir si un modèle d’affaires existe. Elle ne se soucie guère des coûts, c’est pourquoi nous avons le capital-risque.
La plupart des startups ne savent pas ce qu’elles deviendront lorsqu’elles auront trouvé leur niche. L’une des phrases les plus citées dans Lean Analytics, un livre sur les méthodes des startups basées sur les données que j’ai coécrit avec Ben Yoskovitz, est « vous ne concevez pas un produit, vous concevez un produit pour savoir quel produit concevoir ». Cela signifie que les startups valorisent les délais par-dessus tout puisqu’elles veulent itérer jusqu’à ce qu’elles trouvent le bon produit avant de manquer d’argent. C’est pourquoi elles ont tendance à demander pardon au lieu de demander la permission.
Les startups en phase de démarrage lancent un produit minimum viable, la chose la plus simple et la plus facile à faire pour tester le plus grand risque auquel la startup est confrontée. Parfois, elles annoncent un produit qui n’existe pas pour tester la demande. Elles ignorent souvent l’accessibilité, ou ne lancent le produit que sur une seule plateforme mobile ou dans une seule langue, car elles ne savent pas si elles élaboreront un jour un produit complet.
Une fois qu’une startup a découvert un modèle d’affaires durable et reproductible, elle peut espérer résoudre ces problèmes. Cela étant dit, elle cessera également d’être une startup, car elle ne privilégie plus l‘apprentissage par-dessus tout ; elle passe désormais à l’exécution. Elle devient une société.
Les sociétés recherchent les économies, pas la rapidité ou de la qualité
En 1970, l’économiste Milton Friedman a écrit un article pour le New York Times intitulé « La doctrine Friedman : La responsabilité sociale des entreprises est d’accroître leurs profits ». Cette affirmation représentait plus qu’une simple opinion : si le PDG d’une entreprise ne maximise pas les profits pour les actionnaires, il peut être évincé par le conseil d’administration ou par une majorité d’actionnaires.
Ce n’est pas aussi cynique que cela en a l’air. Toutes choses égales par ailleurs, chaque entreprise veut être plus rapide que ses concurrents pour mettre de nouvelles choses sur le marché et chaque entreprise veut satisfaire ses clients. Cependant, il s’agit là des résultats de la priorité accordée au profit : si vous mettez trop de temps à livrer un produit, d’autres vous voleront votre part de marché. Si vous livrez un produit de mauvaise qualité, votre marque subira des dommages irréparables. La campagne publicitaire de Patagonia intitulée « Don’t Buy This Jacket » (n’achetez pas cette veste) invitait les consommateurs à sortir et à faire de la randonnée le jour du Vendredi fou plutôt que de passer la journée à se disputer avec d’autres acheteurs pour obtenir des rabais dans les magasins à grande surface. Cela renforce leur image de marque en tant qu’entreprise durable, axée sur le plein air. Ses dirigeants ont décidé que cette approche était bonne pour l’entreprise et ses actionnaires sont du même avis.
Malheureusement, la voie la plus rapide vers les profits est souvent l’exploitation d’une externalité. Des entreprises vendent des opioïdes et de la nicotine, mais ne paient pas pour l’effondrement de villes entières ou le coût du cancer du poumon. Elles engagent des travailleurs migrants pour des travaux saisonniers, mais leur refusent les droits humains fondamentaux. Elles divertissent les touristes en haute mer, mais ne paient pas pour la pollution des océans. Elles vendent des investissements douteux pour faire du profit, mais sont renflouées par les contribuables lorsque ces investissements s’effondrent. Si le capitalisme a prouvé une chose, c’est que les entreprises sont extractives. C’est souvent au secteur public qu’il revient de ramasser les pots cassés, en assurant les soins de santé, les fonds de pension, la réglementation environnementale, le salaire minimum, etc.
Les gouvernements recherchent la qualité, pas la rapidité ou les économies
L’opposé du progrès est le congrès. Du moins, c’est la perception que la plupart des citoyens ont du gouvernement. Dans un article récent intitulé Paperweight, Paul Craig en attribue la responsabilité aux « niveaux pénibles de prospective ». Il cite l’exemple d’un petit site web de douze pages qui a nécessité l’approbation de huit groupes différents sur une période de six mois, ainsi que 39 230 mots de documentation. C’est la moitié du premier livre d’Harry Potter.
À l’exception des réglementations intentionnellement malveillantes conçues pour décourager les gens d’accomplir une tâche (ce que Richard Thaler désigne par l’expression« sludge », le contraire des « nudges » conçus pour pousser quelqu’un vers un résultat), la plupart des bureaucraties commencent par de nobles aspirations. Nous voulons éviter la corruption, alors nous mettons en place la gouvernance. Nous voulons éviter de marginaliser les utilisateurs, alors nous ajoutons une vérification de l’accessibilité. La liste ne fait que s’allonger et rapidement, vous dépensez plus d’argent pour vous assurer que les subventions sont accordées de manière équitable que pour les subventions elles-mêmes. La bureaucratie engendre la prudence, et la prudence engendre la bureaucratie, car le service public doit, par-dessus tout, tenir ses promesses pour tous.
Restaurer la confiance envers le gouvernement
En 2020, notre conférence annuelle FWD50 a coïncidé avec les élections fédérales américaines. L’un de nos thèmes principaux cette année-là était la démocratie résiliente. Les événements qui se sont produits depuis ont souligné à quel point la démocratie est fragile. Un an plus tard, notre conférence de 2021 a abordé le thème du rétablissement de la confiance envers la démocratie. Lors d’un panel asynchrone l’automne dernier, Hillary Hartley a répété une vérité fondamentale du gouvernement numérique : la stratégie, c’est l’exécution. Sans même le savoir, les sociétés s’appuient en permanence sur les services gouvernementaux, de sorte que la meilleure façon de rétablir la confiance dans les institutions publiques partagées est de les fournir.
Il est naïf de penser que quelque chose peut être de bonne qualité, rapide et bon marché. Mais il est tout aussi naïf de penser que l’organisation parfaite se trouve au milieu du triangle de fer. La réponse n’est pas un compromis fade et universel.
Nous avons plutôt besoin d’une connaissance de la situation. Nous devons décider où se situe chaque initiative gouvernementale sur le triangle et la considérer en conséquence :
- Lorsque la pandémie a éclaté au début de l’année 2020, le gouvernement fédéral canadien a agi avec une rapidité impensable en dispensant la Prestation canadienne d’urgence en trois semaines seulement. Ce ne fut pas parfait : nous avons pris de nombreux raccourcis et une bonne partie de ces prestations a été versée à des personnes qui n’en avaient pas besoin, au détriment de celles qui en avaient besoin. À cet égard, le gouvernement a trouvé une solution avec rapidité.
- Plusieurs études ont montré que le simple fait de donner de l’argent aux familles, plutôt que d’administrer des programmes d’aide sociale complexes, produit de bien meilleurs résultats. Ces propositions, ainsi que la demande pour un revenu de base universel, ne sont pas irréprochables puisqu’elles peuvent donner lieu à des abus et à d’importantes externalités. Par contre, le coût de leur gestion est infiniment faible. À cet égard, ces programmes sont économiques.
Beaucoup de choses ont changé depuis la création des gouvernements tels que nous les connaissons et de nombreuses normes sont désormais du folklore dépassé. La pandémie a accéléré l’adoption du numérique au sein du secteur public et des personnes qu’il sert et nous avons vu ce qui peut se produire lorsque nous recherchons intentionnellement des résultats différents. Nous devons savoir quand donner la priorité à une itération rapide, quand donner la priorité à un périmètre précis et quand donner la priorité à une accessibilité financière efficace. Pour survivre, tout organisme doit être capable de s’adapter et le gouvernement ne fait pas exception à la règle.
Si nous voulons restaurer la confiance envers le gouvernement, nous devons apprendre des startups et des grandes entreprises en évitant leurs difficultés évidentes. Parfois, nous nécessitons une efficacité impitoyable, un recours à la sous-traitance et une volonté d’accepter les externalités. D’autres fois, nous devons faire preuve de rapidité et d’apprentissage, même si cela entraîne des coûts ou si nous devons renoncer au projet lorsque nous concluons qu’il serait inopportun.
Enfin et surtout, nous avons besoin de dirigeants capables de comprendre la situation, de la communiquer clairement aux parties prenantes et au public, et de donner à leurs équipes les bonnes priorités et les bons indicateurs.
Tout au long de l’année 2022, nous explorerons les compromis que représente ce triangle. Nous solliciterons des technologues, des éthiciens, des dirigeants d’entreprise et des entrepreneurs pour leur demander ce qu’ils feraient différemment.
Lorsque nous maîtrisons mieux le triangle de fer, nous le transformons d’une frontière qui nous contraint en une toile qui nous aide à mieux travailler. Puis en améliorant nos prestations, nous restaurons la confiance envers le gouvernement et le rendons résilient à nouveau.